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Le H 21 du musée de l'ALAT

histoire d'une restauration

ou comment même au sein de l'institution, la sauvegarde du patrimoine n'est pas un long fleuve tranquille

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Jean Philippe Joyeux

 

 

DAX 1980

 
Depuis 1971, date de son dernier vol, un H21 trônait sur un socle en béton, derrière l'infirmerie. On pouvait le voir de la route de Tercis passant le long de la base de l'ESALAT de DAX.


Dans le cercle rouge...

 

Plusieurs fois, j'avais fait le tour de ce gros hélico inerte. Il était bien abîmé extérieurement bien que plusieurs fois repeint à la va vite. A l'intérieur, les capitonnages et la peinture avaient mal vieillis. Le tableau de bord avait été pillé. Il ne restait que quelques cadrans moteur. Des pièces du moteur manquaient. Les pales en bois servaient de refuge à des moineaux sans remords. Bref, la Banane FR94 n'était pas au mieux de sa forme

 

Depuis quelques temps le commandement de la base avait prévu la création d'un musée présentant les appareils de l'histoire de l'ALAT. Mais ce musée n'était prévu que dans la tête de quelques uns et n'avait pas l'air de faire l'unanimité. Un Nord 3202, un Nord 3400 et un Djinn étaient arrivés par la route pour débuter. En septembre 79, le HSS numéro 143, don de l'Aéronavale était arrivé en vol. Tous ces appareils étaient stockés dans un hangar en zone sud.

 

 En 1980, l'Adjudant Bravo, chef de la piste nord avait remis en état le Djinn avec l'aide de quelques mécaniciens et une idée lui trottait dans la tête: restaurer le H 21 FR 94. Après chaque permanence , il allait faire le siège du bureau du chef des Services Techniques auquel il demandait l'autorisation d'une remise en état sommaire. Refus catégorique à chaque fois : il était absolument hors de question de dépenser un seul centime pour cette épave !!! Mais à force de persévérance, l'adjudant Bravo finit par être convoqué par le colonel de Bermondet de Cromières, chef de corps de l'époque, qui lui demanda s'il était bien vrai qu'il était tombé amoureux de cette vieillerie, et combien de temps il lui faudrait pour la faire disparaître de son emplacement car elle gênait… pour bâtir la nouvelle infirmerie ! (En fait, deux cours de tennis furent construits) .

La réponse ne se fit pas attendre et la semaine suivante, la " Merguez " avait disparu de son socle sans que cela n'inquiète personne. Ce n'est que bien longtemps après qu'elle fut retrouvée au fond du hangar H1, cachée derrière des vieilles armoires à l'occasion d'une revue HCCA. Mais trop tard, elle était presque terminée.



Mais reprenons le cours de l'histoire

 A mon retour du CT2, j'ai été muté à la piste Nord, sous les ordres de Bravo. Cela faisait deux fanas aéro au même endroit qui finirent par faire une fine équipe. Notre amitié dure toujours et nous remettons la Banane sur le tapis à chaque fois que nous nous retrouvons autour d'une table.

Dès que nous avions un moment de libre nous allions tourner autour du H 21 et bricoler, vraiment passionnés par cette grosse bête. Bravo proposa alors aux Chefs de m'affecter à temps complet dans le hangar sud. Cela fut accepté malgré le déficit en mécanos et je fus détaché au "Musée".

A partir de la fin de l'année 1981, le démontage de la machine commença. Nous n'avions pas de doc sur la Bête mais un Ancien de l'Alat, Claude Amauger, nous fournit un manuel de vol, tout en anglais évidemment, mais qui nous a bien aidé.
Après avoir démonté tout ce qui était démontable il a fallu décaper le fuselage intérieur et extérieur. Les plexis n'étaient pas cassés ou très peu.


L'atelier tôlerie du 3ème Echelon nous a réparé les deux ou trois capots les plus abîmés. Cela concernait surtout les capots dorsaux en magnésium qui n'avaient pas résisté aux assauts du temps.

Après le difficile décapage de la cellule, on finit par retrouver la première couche de peinture genre olive drab et certains marquages connus par les premiers utilisateurs de la FR 94. Lors de sa dernière Grande Visite, l'intérieur de la machine avait été repeint en bleu marine au lieu du gris clair d'origine.



On nous avait affecté un tracteur de piste d'époque pour tirer la Banane avec la barre de remorquage du HSS. Il était orange et motorisé avec un moteur de Peugeot 203.

C'est au labo photo, où tout le monde m'avait dit qu'il n'y avait plus rien, que j'ai trouvé de beaux négatifs de Bananes, de H 19 et d'autres appareils de l'ALAT. J'ai donc appris le développement des photos ; celles-ci se trouvent maintenant aux archives du Musée. A l'imprimerie où j'avais des camarades, j'ai pu faire des copies des cadrans de vol prises dans le manuel , afin de refaire le fonds des instruments manquants. Une fois montés, ils faisaient illusion.

 

 

D'autre part, le musée n'existant pas encore, nous n'avions aucun crédit. Aussi fallait -il jongler avec les différents services et les connaissances, pour dénicher de la peinture, du décapant etc... Combien de tableaux pour l'instruction ont-il été décapés et repeints … sur le papier !

 

 Grâce à la com j'ai donc commencé par la peinture intérieure et celle du compartiment moteur . Malgré le masque à peinture, on savait au mess, le midi, en regardant mes narines, ce que j'avais peint : Le jaune zinc chromat pour le compartiment moteur, ou le gris pour l'intérieur de la cellule. Puis le noir pour tout ce qui était tête rotor et compagnie.plicité du Maréchal desLogis Chef Des Granges (moniteur au 2ème esc. et ancien mécano) et de l'Adjudant Belot ( pilote Puma et camarade de Jean) un carburateur, gros comme un moteur de Renault 4 CV, suivant l'expression de Jean, arriva de Saumur. Ce même Adj Belot nous livra un jeu de six pales qu'il avait lui même descellées de leur socle (ce qui l'avait beaucoup fait râler) mais malheureusement dans le même état que celles que nous avions. Le bois des pales n'étant pas réparable avec le même matériau, je décidai d'entoiler les parties cassées.

 

 
JEX posant une cocarde que le public ne peut pas voir
car elle est sur le dos de la " Banane "

En faisant tourner les pales sur leur manchons ( ce que l'on ne peut pas faire avec les hélicos modernes ), je réussi à restaurer six pales sur les douze disponibles. Les pièces en toile se trouvant ainsi sur le dessus des "plumes", après mise en peinture (blanc dessus, noir dessous) personne à part les moineaux ne verrait la réparation. Un jour, j'ai vu arriver au musée un groupe de gradés de la base et un monsieur âgé mais très alerte. On me présenta à ce Monsieur qui s'appelait Charles Marchetti. Le Père de l'Alouette I et II. Quel honneur ! Je ne me suis pas lavé la main qui l'avait touché pendant une semaine. Monsieur Marchetti m'a expliqué qu'il avait bien connu monsieur Piasecki ( Le constructeur de la Banane). Il me proposa aussi d'essayer de me procurer des pales métalliques de H 21, réparées par Bugatti, mais je n'ai jamais rien vu venir.

Nous avons eu aussi droit à la visite du général Navereau, à l'époque Commandant de l'Alat. Je me souviens qu'il était très content du travail effectué et qu'il n'arrêtait pas de dire en serrant la main à Jean: " Bravo pour le travail, encore Bravo " . Jean devait avoir les oreilles qui sifflaient.

  On a pu aussi trouver à un moment donné, dans le bureau du chef des pistes qu'était devenu Jean, les deux dérives de la Banane.

Je peux vous dire que ça prend de la place à coté des dérives de Gazelle. Après une peinture kaki, Jean s'était attaqué à la pose de deux énormes cocardes peintes à la main. (Les cocardes avaient été déplacées du fuselage aux dérives en Algérie, pour éviter de faire une superbe cible au niveau du réservoir d'essence où elles se trouvaient auparavant. A cette époque les cocardes n'étaient pas minuscules comme aujourd'hui ) . On venait dans le bureau rien que pour les voir.


Le jeudi de l'Ascension 1982 , on a mis la Banane en peinture extérieure. Cinquante kg de peinture kaki " marchandée " au service auto de la base. Du kaki à " Kamion ". Le travail n'a pas été si mal fait, car vingt ans après, la peinture est toujours là et en pleine forme.

 

 Pour l'Ecusson du GH2, le Maréchal des Logis Solsonna, mécanicien, le peignit en se servant d'une diapositive projetée sur le fuselage. Ce qui a donné un excellent résultat.

 

Puis j'ai commencé les marquages techniques et toutes les autres inscriptions. En Anglais. Grâce à des photos agrandies, j'ai pu en faire un max. Mais il doit certainement en manquer je le reconnais. C'est une véritable encyclopédie cet hélico et nous n'avions pas assez de doc là-dessus. A ce moment là, Jean à eu l'idée de d'immatriculer la Banane " B E J ". (Cette même Banane a bien failli se retrouver repeinte en bleu avec des étoiles Américaines……...suite à une colère de mon Adj préféré, concernant justement ces immatriculations qui auraient du être tout autres ….mais il y a péremption. C'est donc à la suite de cette colère que les immatriculations actuelles ont été peintes (eh ! oui ) pour éviter que l' on ne les change à l'insu de Jean !!

 Cette immat n'a peut être pas été portée par la FR 94, mais bien par un autre H 21 à la même époque en Algérie. La machine nous ayant servi de modèle s'appelait "BEK".
Certains disent même que BEJ voudrait dire Bravo Et Joyeux. Mais nous ne sommes pas comme ça quand même. !! (T'as qu'à croire ! (note du webmaster))

 A mon regret, la restauration du H 21 a peu intéressé les quelques anciens Bananiers que je voyais sur la base quand je leur glanais des renseignements ou des souvenirs. Seul un mécanicien civil du troisième échelon, ancien Militaire m'avait prêté des photos avec leurs histoires.
Bref, la banane pratiquement terminée logeait maintenant dans un hangar de la zone nord depuis quelques temps. Elle ressemblait à quelque chose.

 Dans le cockpit il ne manquait que les poignées des cycliques. (ces poignées ont été fournies quelques temps après par le général commandant les Ecoles de L'Armée de Terre, qui au cours de sa visite au Musée a fait remarquer que la banane était incomplète, justement à cause de ces poignées! Il a alors affirmé qu'il savait ou en trouver et Jean le savait aussi: au Luc en Provence. Lors de sa visite suivante au Luc, il a fait déposer les dites poignées et Jean les a reçues par le courrier (que ce général soit ainsi remercié pour sa collaboration a notre chantier). Dans le cargo, seuls les capitonnages sont absents. Faute de moyens, ils n'ont pu être réparés . Quoique (une histoire qui a fait beaucoup de bruit à l'Etat Major de l'ESALAT)! Et c'est vrai ça manque un peu.

 

 Un bel après midi de mai, le H 21C FR 94 immatriculé BEJ, est sorti du hangar pour une photo et un article dans le journal Sud Ouest. Il y avait du monde autour de l'Hélicoptère ce jour là pour la photo, même ceux dont je parle plus haut.

La mise en place des pales à l'envers sur le rotor avant


Le lendemain, les pales ont été remontées car un mauvais phasage empêchait un bon engrenage des rotors ( et oui on ne peut pas tout savoir).Le plus amusant, c'est que personne n'a rien vu.

 Un mois plus tard, le 20 juin, la Banane était présentée au public lors de la grande fête aérienne organisée pour la millionième heure de vol de l'ESALAT.
Quelques jours avant ma mutation en Allemagne, en Août 82, j'ai été appelé au " Séminaire " par le Chef de corps. Dans le "salon vert " un comité très restreint m'attendait .
Avec le Colonel Arzel et quelques officiers de la base, il y avait Claude Amauger, Vice-Président de l'amicale des Anciens de L'ALAT. Celui-ci m'a félicité pour le travail effectué et m'a remis un jeu d'assiettes en porcelaine, le n°169 de la série, sur lesquelles sont peints les différents aéronefs de l'Alat. Aujourd'hui encore, j'en suis très fier.

 

Epilogue

 Sur cette machine, Jean et moi ne sommes pas les seuls à avoir gratter la tôle. A l'occasion, il y a eu des pilotes en stage, comme Minard, Sautereau, Jovignot, Maria (un gendarme pilote avion en stage hélico), des copains mécanos comme Ripoll, Gutin et Solsonna, Onfroy, et des militaires du rang du contingent lors des repos de la Disponibilité Opérationnelle.
Mille excuses aux travailleurs occasionnels qu'on a pu oublier.
Pendant que nous y sommes, Jean s'associe à moi pour remercier infiniment le Capitaine Michel (le premier Conservateur) pour sa patience envers l'équipe choc de la restauration qui n'a pas toujours été très tendre avec lui.
Enfin, un grand merci à Jean pour ce voyage dans le passé qui a duré le temps de la restauration du H 21. Cela m'a permis de connaître cette machine presque sur le bout des doigts. La seule chose qui me chagrine, c'est de n'avoir jamais volé dessus hier et de ne pouvoir le faire demain.

JEX le 24 mars 2002
Aidé des souvenirs de Jean
Co-papa du BEJ